Gravité de la mission, et légèreté de l'âme.
On a coutûme de trouver, en lisant ce qui peut avoir rapport au théâtre, un ton enjoué, ludique, palefrenier. Le théâtre est un sujet forcément carnavalesque. Il faut de la couleur, il faut des éclats de rire, il faut la dérision du sentiment. Il faut lorsque l'on est homme de théâtre être nécessairement le bouffon du roi. Le théâtre n'est pas sérieux. Le théâtre n'est rien de vrai. Il est le rêve inconséquent des adolescents petit-bourgeois en échec. Il est le sourire mièvre de celui qui fuit son destin. Il est la famille des apatrides, des exclus, des puants. Le théâtre est cet humilié des villes qui va traînant ses gros décors dorés et ses honteuses grimaces sur les chemins de la pauvreté en se forçant à sourire. Oui, le théâtre peut avoir cette tendre infirmité.
C'est pour cela qu'il doit être défendu. Non comme une chose utile, non comme une chose seulement nécessaire, mais comme le destin de notre société.
Le théâtre est anti-capitaliste malgré lui. Il aimerait pouvoir l'être, être légitime, être fier de lui, être félicité. Mais c'est plus fort que lui, il ne peut s'empêcher d'oublier la compétition, le rythme, le travail. Il ne peut s'empêcher de se rouler dans la fange infâme de sa rêverie.
Alors pour rendre son courage au théâtre dans un monde qui lui crache dessus, il faut rappeler l'impensable, la faute, le crime dont l'existence du théâtre est le signe : le théâtre est l'enfant sublime qui détrônera la société marchande. Il est cet enfant élu que les temps ont maudit pour s'en mieux protéger. Il porte en son sein le feu de l'avenir radieux.
Cette bête clandestine qui ne parle pas le langage du monde, ce gaucher parmi les droitiers, ce maladroit, ce puant, ce type pas à la mode inspire la nouvelle génération. Prenez garde, temps présents !
Le théâtre est le ventre où s'enfantera le poète de demain. Il faut préparer cela. Il faut réhabiliter la poésie. Il faut réapprendre à chanter.
